Plus de trois siècles après sa mort, Jean de La Fontaine n’est pas qu’un souvenir d’écolier poussiéreux, cantonné aux récitations de « Maître Corbeau ». En réalité, le fabuliste est peut-être l’un de nos contemporains les plus pertinents.
Ses fables, bien plus que de simples leçons de morale, sont de profondes métaphores de la psychologie humaine. Elles constituent une boîte à outils formidable pour quiconque cherche à changer de perspective sur une situation. C’est pourquoi elles résonnent si fort dans des approches comme l’hypnose, où le « recadrage » – l’art de voir un problème sous un angle nouveau – est la clé de la solution.
En utilisant le « masque animalier », La Fontaine nous offre un miroir grossissant mais déculpabilisant de nos propres comportements.
🧒 Pour les enfants : Le grand théâtre des émotions et des conséquences
Pour les plus jeunes, les Fables sont une première initiation brillante à l’intelligence sociale et émotionnelle. L’animal permet à l’enfant d’explorer des concepts complexes en toute sécurité.
- Le Corbeau et le RenardLa morale : « Apprenez que tout flatteur / Vit aux dépens de celui qui l’écoute. »C’est la leçon sur la vanité et la flatterie. Pour l’enfant, c’est apprendre à reconnaître quand on lui dit des choses « juste pour plaire » et à ne pas tout « gober » (au sens propre comme au figuré !). La métaphore est simple : ton « fromage » (ta fierté, ton jouet, ta confiance) est précieux, ne le lâche pas au premier compliment.
- Le Lièvre et la TortueLa morale : « Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. »C’est l’antidote à l’arrogance et à l’impulsivité. Pour l’enfant, c’est la valorisation de la constance et de l’effort patient. La métaphore l’aide à comprendre que ce n’est pas le plus « rapide » ou le plus « brillant » en apparence qui gagne, mais celui qui va au bout de son projet.
- La Cigale et la FourmiLa morale (sous forme de chute) : « Vous chantiez ? j’en suis fort aise : / Eh bien ! dansez maintenant. »Au-delà de la dureté apparente de la Fourmi, c’est une métaphore de la prévoyance et de la responsabilité. Elle pose une question fondamentale : comment équilibrer le plaisir immédiat (chanter tout l’été) et la préparation du futur (préparer l’hiver) ?
🧔 Pour les adultes : Des stratégies de vie et des recadrages puissants
Pour les adultes (et en thérapie), la morale simpliste s’efface au profit d’une lecture beaucoup plus stratégique et psychologique. Les fables deviennent des scénarios pour explorer nos blocages.
- Le Chêne et le Roseau : La flexibilité comme vraie force.La morale (dite par le Roseau) : « Je plie, et ne romps pas. »C’est peut-être la métaphore thérapeutique par excellence. Le Chêne, c’est notre rigidité, nos certitudes, notre « moi je » qui veut résister à tout prix. Le Roseau, c’est la flexibilité, l’acceptation, l’adaptabilité.
- En hypnose : On peut demander à une personne rigide, stressée, qui lutte contre les événements : « Préférez-vous être le Chêne, qui semble si fort mais qui casse net face à la tempête, ou le Roseau, qui semble si fragile mais qui se relève toujours après le passage du vent ? » Cette fable permet de recadrer la vulnérabilité comme une forme de résilience supérieure.
- Le Loup et l’Agneau : Identifier l’impuissance et la mauvaise foi.La morale : « La raison du plus fort est toujours la meilleure. »Cette fable, qui ouvre sur sa propre morale, est un outil puissant pour les personnes qui se sentent victimes d’injustice ou de manipulation. Elle met en lumière les mécanismes de la mauvaise foi et de l’abus de pouvoir.
- En hypnose : Plutôt que de rester l’Agneau impuissant qui tente de se justifier, la fable permet de prendre du recul. Elle invite à sortir du dialogue de justification (puisque le Loup n’écoute pas) et à changer de stratégie. La solution n’est pas de « mieux » argumenter, mais de reconnaître que le jeu est truqué et de chercher une autre issue.
- Le Lion et le Rat : Repenser l’interdépendance.Les morales : « Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde : / On a souvent besoin d’un plus petit que soi. » (placée au début) et « Patience et longueur de temps / Font plus que force ni que rage. » (placée à la fin).Cette fable est parfaite pour travailler sur l’estime de soi ou sur l’orgueil.
- Pour la personne qui se sent « Rat » (petite, inutile) : Elle réalise qu’elle a une valeur unique, une compétence spécifique (ronger une corde) que même le « Roi » (le patron, le parent, le conjoint) n’a pas.
- Pour la personne qui se sent « Lion » (puissante, orgueilleuse) : Elle apprend l’humilité et réalise que sa puissance dépend aussi des autres. C’est un recadrage sur l’interdépendance et la patience.
🌀 La Fontaine et l’hypnose : Le « comme si » qui libère
L’état hypnotique favorise la pensée métaphorique. Le sujet est plus ouvert à voir les choses différemment, car son « esprit critique » (le Chêne rigide) est mis en veille.
L’utilisation d’une fable en séance permet de créer une dissociation. Le patient n’est plus « lui-même » avec son problème insoluble ; il devient un observateur extérieur regardant un Corbeau, un Loup ou un Lièvre.
En observant le Lièvre s’endormir, le patient peut comprendre son propre schéma de procrastination ou d’auto-sabotage, non pas comme une fatalité, mais comme un comportement qu’il est possible de changer. Il n’est pas « un procrastinateur » (une identité figée), il est « celui qui agit comme le Lièvre » (un rôle qu’il peut choisir de quitter).
La fable permet de « rejouer la scène » intérieurement et de se demander : « Et si la Cigale avait aussi stocké quelques grains ? Et si le Corbeau avait compris le jeu du Renard et lui avait jeté le fromage au visage en riant ? »
En nous invitant à explorer ces scénarios alternatifs, La Fontaine ne nous donne pas des réponses toutes faites, mais nous offre la plus belle des permissions : celle d’envisager un autre point de vue.
